Nous quittons Nuku Hiva avec le dernier souffle de Nord Ouest avant l’arrivée des alizés d’Est. Des dauphins « à bec étroit » nous escortent à la pointe sud-est de Nuku Hiva et nous accueillent à Ua Huka (à 25 milles, soit 50km environ, à l’est de Nuku Hiva).
Je suis toujours fascinée par ces animaux, mais ceux là ont le bout du rostre tout blanc (comme si ils l’avaient trempé dans un pot de peinture !) et le ventre rose et cela me donne encore plus envie d’aller jouer avec eux…
Nous passons la nuit dans la baie de Haavei et au matin nous sommes envahis sur le bateau par les nonos.
N’écoutant que notre courage…nous fuyonsJ. Nous passons entre l’île aux oiseaux et la terre.
L’île aux oiseaux est une île toute plate où viennent nicher des sternes. C’est une réserve et seuls les habitants ont le droit de venir de temps en temps y prélever des œufs. Dégustés en omelette (au gout poisson ?), ils sont un met très apprécié.
Ces deux îlots sont spectaculaires, l’un est blanc et l’autre est rouge. La deuxième île est aussi appelée « île du chien couché »…c’est à ce moment là que j’ai compris pourquoi !
Nous nous dirigeons vers Vaipaee (chef lieu de l’île), appelée aussi baie invisible, car difficile à trouver en venant du large.
La baie est une échancrure très profonde et étroite, mesurant prés d’1 km. Lorsque l’Aranui y pénètre, il manœuvre dans un mouchoir de poche et s’amarre aux parois avec des aussières.
Le fond de la baie semble désert, avec quelques bâtiments vides. Nous restons un petit moment à observer deux pêcheurs en kayac : ils jettent une ligne remplie d’hameçons et presque instantanément ils remontent un poisson ! Incroyable, ils n’arrêtent pas !
Nous avions compris que le village était assez éloigné (nous verrons par la suite qu’il est accessible), nous continuons donc notre route vers Hane.
Comme il a beaucoup plu ces derniers jours, l’île est verte et les couleurs sont magnifiques.
Mais elle est réputée être la plus sèche et la plus désertique des Marquises.
La baie de Hane est protégée à son entrée par un imposant ilot lui donnant un caractère particulier (pain de sucre de Rio ?).
Il n’y a pas de quai, de la houle rentre et la descente en annexe sera souvent sportive et humide.
Hane, un des 3 villages de l’île, compte 150 âmes (Hokatu 150 pers. et sur la totalité de l’île 620 pers.). C’est un village paisible et aéré. Les panneaux de signalisation sont fabriqués localement.
A la descente de l’annexe nous sommes accueillis :
Ua Huka est été appelée « l’île aux chevaux », mais en raison d’une sécheresse, une grande partie des troupeaux qui vivaient en semi liberté a été décimé.
Il est agréable de se promener dans ce village, qui déborde de fruits (pamplemousses, cocos, mangues, citrons, oranges, fruit à pain…)
Ici pas de feux tricolores, pas de radar, mais la seule chose qu’il manque vraiment est un panneau « attention chute de cocos »
Nous mangerons dans LE restaurant du village : sashimi-crudités, viande et légumes, fruits le tout arrosé de citronnade et en prime nous repartons avec un gros sac de fruits.
Mais c’était aussi une façon de rentrer en contact avec les gens. La restauratrice nous indique un site archéologique au dessus du village. Nous décidons d’y monter juste après le repas pour « compenser » un peu.
Le sentier est bordé de manguiers et cocotiers. C’est la saison des mangues et beaucoup pourrissent à terre.
Je ne sais pas si cela est lié mais plus nous montons plus nous subissons une attaque (assez) violente de moustiques, malgré les répulsifs ! Adrien et moi rebroussons chemin, seul Martial courageux, ira voir les Tikis (en tuf rouge de plus d’un mètre)
et la vue sur le mouillage
Nous sommes aussi partis au village voisin Hokatu par la route (à 4km à l’est de Hane).
Arrivés au village, à la première maison, nous sommes abordés par une femme qui se propose de nous ouvrir le centre artisanal (Elle en est la responsable). En attendant qu’elle se prépare, nous admirons la pirogue qu’elle conserve sous sa maison.
Elle a été construite pour le Matavaa de 1999 de Nuku Hiva et 7 hommes ont rallié Ua Huka à la baie de Taiohae avec ! Chaque détail a été travaillé et malgré son « grand » âge elle est magnifique.
Après cela nous découvrons le centre artisanal. Je suis impressionnée par le niveau de qualité et d’authenticité des objets dans ce village du bout du monde.
Bols de « kava », boisson fermentée locale.
Ils plantaient ce pic en bois dans le fruit à pain pour accélérer la fermentation, et la porcelaine servait d’épluche légume !
Les herminettes servaient à creuser la terre.
Les casses têtes étaient des armes…aussi efficaces que la batte de base ball ?
Mais la particularité de cette île est le tiki à trompe d’éléphant.
Notre « hôtesse » nous raconte son histoire : ce n’est pas un nez d’éléphant qu’il a, mais une queue de baleine ! Les pêcheurs l’emmenaient sur leur barque et quand le tiki tombait à l’eau, c’est que l’endroit était idéal pour la pêche. Ensuite, tout naturellement le tiki rentrait (à la nage ?) au village et on le retrouvait sur la plage ! (il devait être fort le kava de l’époqueJ)
Nous aurons une autre version qui me semble plus vraisemblable. Quelqu’un serait né avec une malformation au niveau du nez. Et à l’époque, les gens différents étaient soit traités comme des moins que rien, soit on leur attribuait des pouvoirs surnaturels. Et ce Tiki représente peut être (personne ne sait avec certitude d’où il vient) quelqu’un qui a sût transformer une malformation en force.
Celui-ci est une commande municipale réalisée par un sculpteur de Hane.
Il y a énormément de sculpteurs sur cette île et ils organisent tous les ans un concours sur un objet ancestral.
Notre hôtesse nous dit que cette année le concours portera sur le bâton du chef. Seuls les chefs en possédaient, il représentait la connaissance et était transmis à la personne qui avait acquis cette connaissance et allait devenir le chef. Nous l’avions vu au Matavaa sans savoir ce qu’il représentait.
Ce bâton sculpté était surmonté d’une touffe de cheveux prit sur les ennemis vaincus, aujourd’hui remplacé par du crin de cheval.
Ce que ce guerrier tient dans sa main droite est une flute à nez : cet instrument se joue en soufflant avec une narine !
Notre hôtesse nous explique qu’elle apprend aux autres femmes du village comment tresser des paniers, des chapeaux. Elle nous montre une très vieille machine à coudre et là aussi elle essaye de transmettre son savoir de la couture. Je décide donc de lui offrir ma machine à coudre (qui ne marche plus très bien depuis qu’elle a pris feu) que j’échange contre un plat à fruits. Nous sommes toutes les deux ravies.
Derrière la maison de l’artisanat, des femmes jouent au loto le dimanche.
juste devant la rivière
où viennent boire les chevaux
Après avoir traversé le village, nous allons voir des piscines naturelles.
Le « port » naturel.
Du coté terre, Hokatu est adossé aux parois de l’ancien volcan.
De retour à Hane nous nous arrêtons à la roulotte pizza de Franck et Stéphanie. Nous réservons pour le soir, car tous les bateaux de la rade (on est maintenant 4 catamarans) se sont donnés rdv pour y manger.
Jean Yves le sculpteur du tiki géant joue du ukulélé devant la roulotte et mes hommes prendrons leur premier cours.
La soirée fût mémorable, car en plus des voileux, sont arrivés des locaux déjà bien allumés et sans l’aide de Franck et Stéphanie je ne suis pas sûre que l’on s’en serait sortit sans Pb.
Franck accepte de nous faire visiter l’île. Nous suivons la route le long de la côte vers Vaipaee.
Nous faisons une pose devant l’aéroport pour regarder atterrir l’avion qui vient de Nuku Hiva.
Ils sont reliés à Nuku Hiva et Hiva Oa, 4 fois par semaine. Franck nous arrête à Vaipaee chez un fabricant de ukulélé.
C’est un homme passionné et ses instruments sont de vraies œuvres d’art. Martial ne sait plus lequel choisir et finalement craque pour celui qui a le plus de bois différents, sculpté de croix marquisiennes.
Mais en discutant, nous apprenons que notre fabriquant de ukulélés est aussi un producteur de pamplemousses : il en expédie plus d’une tonne par mois à Tahiti et ce toute l’année.
En bonne citadine, je m’étonne : il n’y a pas de saison pour les pamplemousses ? Il nous explique, qu’il a divisé son terrain en 4 parties et « fait souffrir » (cad n’arrose plus) ses parcelles à tour de rôle, reproduisant ainsi les saisons (humides et sèches) naturelles. Il nous explique aussi qu’il a planté des citronniers au milieu des pamplemoussiers et laisse pourrir à terre une partie de ses citrons. L’acidité qu’ils libèrent, éloignent les bêtes et lui évite tout produit chimique. C’est ainsi qu’il peut avoir des pamplemousses toute l’année, sans produits chimiques (= bio ?). Il s’occupe de ses champs le matin et fait de l’artisanat l’après midi. J’admire son équilibre de vie.
Son seul Pb est que ses enfants attirés par les sirènes de la modernité, n’arrivent pas vraiment à lui emboiter le pas, mais ne trouvent pas non plus leur place dans la vie moderne des villes.
Nous visitons ensuite l’église de Vaipaee, décorée de magnifiques sculptures en bois et de fleurs.
Puis petite visite au musée local, qui renferme des merveilles. Pour certaines elles sont d’époque et trouvées dans les vallées, comme ces boucles d’oreilles et ce peigne à cheveux
Mais aussi des objets contemporains, lauréats des concours d’artisanat : des petites merveilles.
Un lance pierre, tissé en fibre de coco.
Cette année là, le concours portait sur les échasses.
Là ce sont des bols (d’origine) servant à conserver les aliments (ancêtre du Tupperware ?J)
Le bol de droite est une vraie dentelle, sculptée dans une noix de coco !
Gauguin écrivait en 1938 dans une de ses lettres : « chez le Marquisien surtout, il y a un sens inouï de la décoration. Donnez lui un objet de formes géométriques quelconques, il parviendra, le tout harmonieusement, à ne laisser aucun vide choquant et disparate.»
Le dessous de ce plat illustre très bien ce qu’il dit : encore une merveille!
Entre Vaipaee et l’aéroport sur le retour nous nous arrêtons à l’arboretum. Créé en 1995, il s’étends sur 17 hectares sur lesquels ont été plantées plusieurs centaines d’espèces d’agrumes et d’arbres fruitiers, provenant du monde entier. L’objectif était de sélectionner les variétés qui s’adaptent au sol polynésien, pour donner des perspectives à l’agriculture locale. On y trouve plusieurs variétés de pamplemousses, de citrons, d’oranges, de pomelos (hybride entre pamplemousse et mandarine), des manguiers etc…
Il leur est interdit de vendre leur production et donc chaque visiteur peut repartir avec des paniers pleins de fruits.
Ici même les caramboles, que je pensais ne servaient qu’à la décoration, sont délicieusement sucrées et juteuses.
Coté arbres, des tecks, des cèdres, du santal, et même un baobab minuscule. Franck est imbattable sur les bois, il faut dire qu’à ses heures perdues il est (très bon) sculpteur.
Malheureusement, les crédits sont en chute et de 10 salariés, ils sont passés à 4. Du coup l’entretien et l’avenir de cet arboretum sont plus aléatoires.
Sur la route, Franck nous parle de sa vie : c’est un Frani (= un français) arrivé il y a 25ans à Tahiti. Séparé de sa première femme, il rencontre Stéphanie à Papeete. Mais même à Papeete, la vie moderne plombe le quotidien : boulot, transport (il y a des bouchons à Papeete !), dodo. Ils décident donc, il y a 3 ans, de partir pour Ua Huka d’où est originaire Stéphanie. Franck nous parle des ses difficultés de s’intégrer : d’après lui les locaux sont adorables avec les gens de passage comme nous (je confirme) mais c’est beaucoup plus dur si on veut s’implanter, qu’en plus on a kidnappé une fille du pays, et que l’on ne veut pas d’enfant (Franck en à déjà de sa première union). D’après lui, les postes sont donnés plus par copinage qu’en fonction des compétences. Et il ne trouve pas de travail.
Leur roulotte de pizzas ne fonctionne pas assez, et ils la ramènent dans leur jardin (pas très loin de Vaipaee) pour éviter des frais de déplacement et espèrent capter une plus grosse clientèle.
Pour le Matavaa 2013, un tohua a été reconstitué au dessus de l’aéroport. Pour de nombreuses raisons pratiques, c’était trop compliqué d’utiliser un des nombreux sites qui existent dans les vallées. Ils en ont donc recréé un, qui a l’avantage d’avoir une vue magnifique sur la mer via l’aéroport.
L’entrée est gardée par leur tiki,
Mais ici l’artiste lui a donné une forme de baleine.
La tribune d’honneur
Sous les abris, les poteaux sont tous sculptés.
Le tout est décoré avec les cadeaux laissés par les autres îles. Ce tiki fait à peu prés un mètre de haut.
Nous inviterons Franck et Stéphanie à passer la soirée à bord. Super moment d’échanges et de rires.
Grâce à eux nous comprenons un peu mieux, les richesses et les difficultés marquisiennes. Un grand merci à tous les deux pour votre acceuil.
A Hane, il y a aussi un centre artisanal, adossé à un petit musée maritime intéressant. Martial y achètera une pipe faite de bois et d’os
Le lendemain le Taporo arrive.
Le déchargement des marchandises à terre est « sportif ». La barge se maintient le nez sur un pan incliné, pour décharger, mais la houle vient heurter et chahuter son arrière.
Ua Huka est la dernière île habitée des Marquises indemne de rats noirs. Elle sert donc de refuge au Lori ultramarin et au Monarque, deux espèces d’oiseaux endémiques des Marquises présentes uniquement sur cette île.
Geoffray Sulpice et sa sœur Hinapootu sont chargés de la surveillance des quais de Ua Huka pour prévenir l’invasion de cette île par les rats noirs.
L’association qui s’occupe des oiseaux a envoyé sur l’île un chien et un maitre chien pour les former. Franck nous raconte que la veille de la formation, Geoffray s’est désisté. C’est donc lui que l’on a appelé à la dernière minute (Franck a deux gros chiens qui sont bien éduqués et tout le monde le sait). Il a suivit la formation, mais n’a pas le droit de s’en servir…seule Hinapootu officie !
Quand je demande, pourquoi son frère s’est désisté à la dernière minute, Stéphanie me répond que les hommes marquisiens sont très susceptibles sur leur virilité. Pas question pour eux de se promener avec un petit chien (celui qui renifle les sacs sur la photo ci-dessus) qui, en plus, est une femelle !!
Martial avait rencontré Hinapootu, sur le quai un jour. Celle-ci lui avait interdit de jeter nos poubelles, de peur que nous jetions des rats noirs !! Il faudrait que quelqu’un lui explique que depuis le 18ieme siècle les bateaux ont changés…et que notre bateau-maison, n’est pas un cargo, qui charge des caisses qui trainent longtemps sur des quais ou dans des hangars, et ne peut héberger des rats de quelque sorte que ce soit…
C’est à ce moment là que je mesure le fossé qui nous sépare…
Nous avons fait une plongée coté ouest du motu Hane. La vie est riche mais nous ne ferons pas de rencontres magiques.
Nous quitterons Ua Huka après quelques jours de vent de sud qui rend le mouillage agité. Le vent finit par revenir Est, nous permettant une route Sud-Est vers Fatu Hiva.
Ua Huka qui est peut visitée (mouillages pas toujours confortables), aura été une merveilleuse découverte, riche et authentique.
Les malheurs d’hier, le dépeuplement, l’isolement, la difficulté du développement due au relief sont devenus paradoxalement des atouts pour ces îles. La surpopulation, la pollution, le « bétonnage » généralisé ont ici beaucoup de « retard ». J’espère que le Marquisien du prochain millénaire saura profiter de cette chance, garder son originalité, son authenticité et protéger la beauté sauvage du FENUA (= le pays)