Le Matavaa est le nom marquisien du festival des arts.
Matavaa o te Fenua Enata, littéralement l’éveil de la terre des hommes fût le thème du premier festival organisé à Ua Pou en 1986. L’objectif de ce festival est de réactiver la mémoire collective, de sauvegarder et promouvoir la culture locale par des démonstrations variées : danses, chants, sports traditionnels, préparations culinaires, tatouages, artisanat…
Evénement de première importance, le festival témoigne de la vitalité retrouvée de la culture marquisienne.
Nous arrivons à Hiva Oa une dizaine de jours avant le festival, et il y a déjà beaucoup de monde dans le port. Nous finissons par trouver une place, juste pour nous.
Nous étions plus d’une cinquantaine de bateaux dans toute la rade…jamais Hiva Oa n’avait vu autant de bateaux ! Heureusement pour nous le temps fût clément et tout s’est bien passé. Les bateaux avaient sortit leur grand pavois (série de drapeaux hissé en tête de mat) et le tout avait un air festif. Nous sommes très contents et excités d’être là.
Deux jours avant le festival commencent les arrivées des premières délégations (groupes venant d’autres îles).
Les bateaux (dont certains de l’armée) sont trop gros pour rentrer dans le port. Les gens et le matériel sont déchargés avec un balai incessant de baleinières.
Chaque arrivée est fêtée.
On souffle dans des conques ou des trompes de bois sculptées.
Ils ont installé des Pa’u (gros tambours)
Il y a même quelqu’un (en bas à gauche sur la photo) qui tape sur des bambous …et ça lui va bienJ.
Le code couleur est celles du drapeau marquisien : blanc-jaune-rouge
Les danses de bienvenue sont faites essentiellement par les enfants d’Hiva Oa.
Le second jour, à 6h de matin l’Aranui 5 arrive. Toutes les délégations sont sur le quai pour l’accueillir.
L’Aranui est un cargo mixte (passagers et marchandises). C’est la première fois que celui là (le 5, plus gros que le précédent) arrive à Hiva Oa. Il y a un peu de tensions dans l’air au moment de son « créneau ».
Une ancre est jetée, les amarres portées à terre et le bateau se tire latéralement sur ses amarres, pour se mettre à quai. Tout se passe bien.
On est au complet !! la population d’Hiva Oa est triplée pendant les 4 jours du festival !
La veille du début du festival, Hiva Oa avait organisé une soirée BBQ pour les plaisanciers sur le quai. Ils nous expliquent l’organisation pratique (ils ont mis au point un système de navettes, bus et voitures pour accompagner les plaisanciers au village distant de 4km du port ce qui est sympathique et attentionné), mais pas seulement : ils nous expliquent la philosophie de ce festival.
Toti qui est à l’origine de ces Matavaa, prends la parole : aujourd’hui à la retraite, il a fait ses études à Tahiti et a souffert d’un certain mépris des tahitiens (et plus largement du monde de l’époque) vis-à-vis des marquisiens. Ils se faisaient traiter de « mangeurs d’hommes ». Mais lui était fier de sa culture, beaucoup plus riche que ce que pensaient les gens. Il faut dire que cette culture a failli se perdre à cause des colons qui avaient interdit à peu près tout ce qui touchait aux traditions locales : le paréo, le tatouage, les bouquets parfumés, les couronnes de fleurs dans les cheveux, les danses, le tambour, les chants autres que cantiques…
Toti était professeur et en rentrant sur son île (Ua Pou), il a tout fait pour que renaisse sa culture, créant en 1979 une association culturelle Motu Haka (le rassemblement) qui s’occupe de ces festivals, et réussit à introduire la langue marquisienne à l’école.
Le Matavaa a été conçu non pas dans un but touristique et commercial (tout est gratuit) mais pour que toutes les îles marquisiennes puissent se rencontrer, retrouver et échanger des morceaux de leur culture. Cela se passe en décembre, car la mer est calme (les gens peuvent voyager sans Pb), les enfants sont en vacances (les délégations peuvent ainsi loger dans les écoles et les pensionnats) et c’est la pleine saison du fruit à pain, ce qui permet de nourrir tout le monde !
Il y a un festival tous les 4 ans sur une des 3 plus grande îles (Nuku Hiva, Ua Pou, Hiva Oa) et entre deux, un festival sur les îles plus petites avec donc moins de monde qui peut se déplacer. C’est le 10ieme festival et nous mesurons la chance que nous avons d’être là et de pouvoir assister à un tel événement.
Le thème cette année est « retour aux fondamentaux ».
La cérémonie d’ouverture en début d’après midi se trouve sur le stade de foot. Les groupes sont prêts et patientent.
3 guerriers font un tour de stade au galop, ils montent comme souvent aux marquises, sans selle ! Le festival peut commencer….
Puis les délégations défilent façon cérémonie d’ouverture des jeux olympiques…avec une petite différence sur les costumes J
En plus des 6 îles marquisiennes habitées, étaient présents plusieurs groupes qui venaient de Tahiti (j’ai découvert à cette occasion qu’il y a autant de marquisiens à Tahiti que sur toutes les Marquises…vaste Pb d’exode rurale…) Rikitea (Gambier)
et les Rapa Nui (= île de Pâques. On pense que l’île de Pâques a été peuplée à partir des Marquises) très charismatiques.
S’en suit un long moment de bénédictions, discours (le président de la Polynésie s’est déplacé pour l’occasion) et de remerciements où tout le monde s’ennui un peu …
Enfin les premières danses commencent…
FILM OUVERTURE MATAVAA
La suite des festivités se passent au Tohua Pepeu. Le Tohua est une aire pavée close par des terrasses supportant des abris où pouvaient avoir lieu des représentations collectives (danses, jeux…). Ils avaient démarré la construction de celle-ci en Mars lors de notre dernier séjour.
Les danses reprennent mais je suis aussi en admiration devant les costumes. Ils sont faits essentiellement avec des végétaux. Chaque danseur doit réaliser lui même son costume avec des instructions précises (le savoir faire se transmet ainsi). Les costumes sont confectionnés sur chaque île et transportés avec quelques feuilles de rechange « au cas où »
Certains y rajoutent des éléments de coquetterie. Le Kumu hei est un petit bouquet parfumé. Il est surnommé « filtre d’amour » pour son odeur suave et sucrée qui aurait des vertus aphrodisiaques…
Une autre spécialité est le Tapa. Il était en voie de disparition, mais grâce aux mamas de Fatu Hiva cette technique se transmet et revit sur les autres îles. Jusqu’à l’arrivée des occidentaux au 18 siècle, les polynésiens ne disposaient pas d’étoffe pour s’habiller. Ils confectionnaient des tapas (étoffes non tissées) à partir de l’écorce d’arbre à pain, de banian, de murier. La teinte du tapa varie en fonction du bois employé, du blanc écru au marron clair.
Les écorces des jeunes troncs sont fendues et décollées du bois. Elles sont ensuite trempées dans l’eau pour les assouplir. On râpe ensuite la couche externe avec un coquillage. Les lamelles d’écorces d’une largeur de 15cm environ, sont étalées sur une enclume de pierre. Avec un battoir (en bois de fer), les mamas martèlent plusieurs heures durant l’écorce qui s’amincit et s’élargit progressivement.
La collecte du bois était du ressort des hommes, la préparation du tapa proprement dit incombait aux femmes.
Les accessoires sont essentiellement faits de graines et de plumes pour les femmes, d’os sculpté, dents de cochon et cornes de chèvre pour les hommes.
Une autre chose qui m’a frappée est la grande générosité qui transparait dans les équipes de danses. Rapa Nui mis à part (équipe probablement professionnelle formées de top modèles) ils sont très tolérants sur l’esthétique et cela rends les gens beaux.
Les enfants et ados participent souvent aux danses des adultes et ils tiennent très bien la chorégraphie. La notion de transmission est importante.
Nuku Hiva a même un groupe d’enfants.
Ils démarrent même très très jeune…
Ces 2 ados vont exécuter une très belle danse de l’oiseau. Leurs costumes sont de vraies œuvres d’art (éphémères !) , que la maman qui les a réalisés viendra expliquer au micro.
A l’inverse il y avait un guerrier de 70 ans qui dansait avec les jeunes…fascinant. Ils l’ont interviewé pour lui demander le secret de sa forme : il marche beaucoup sur son île Ua Pou.
Autre exemple de générosité : le second jour il y avait un « Kaikai Katahi » , un repas communautaire.
Chaque île avait préparé sa spécialité, le tout était présenté sur des grands plats
Tout est entièrement gratuit (!!) et le seul impératif est qu’il faut avoir de la vaisselle naturelle (1/2 noix de coco, feuille de bananier ou bambou coupé en deux)
Adrien était revigoré après ce repas….
Entre deux danses nous allions visiter le village des artisans : il y a beaucoup de très bons sculpteurs (bois, os, pierres…) aux Marquises et leur artisanat est réputé.
Le tohua (sorte de salle de spectacle en plein air où nous étions) était décoré par d’impressionnantes sculptures en pierres. Certaines avaient été faites sur places
mais la tradition veut que chaque île offre à l’île qui les accueille un cadeau qui sera dévoilé au cours d’une danse.
Les Rapa Nui (Ile de Pâques) venus en avion, ont sculpté leur œuvre à partir d’un arbre, sur place en 3 jours !
FILM RAPA NUI
A coté il y avait des démonstrations de tatouages traditionnels.
Le savoir faire et le talent des tatoueurs marquisiens sont reconnus dans tout le pacifique et même au-delà (certains sont installés en France)
Dans la manière traditionnelle, ils utilisent une sorte de peigne, qu’ils viennent frapper avec une baguette pour que le contact avec la peau se fasse.
Les enfants nous ont fait une démonstration de jeux traditionnels : courses de pirogues
3 par « pirogues », ils doivent éviter les dauphins (jeunes femmes sensées freiner leur course) et courir vite…
Rigolade assurée.
Film COURSE DE PIROGUES
Il y a eu aussi une course d’échasses.
Mais place aux danses.
Ce que j’ai particulièrement aimé, est que dans ces danses les hommes ont une place importante et ne sont pas des faires valoir de danseuses.
FILM DANSES DE GUERRIERS
Ces danses racontent une histoire qui est commentée en marquisien …tout à fait hermétique pour nous. Mais nous avons compris certaines grâce à la chorégraphie.
Il y eu la construction d’un meae (nom marquisien du marae). Il s’agit d’un site religieux bâtis à partir de pierres, juxtaposées et empilées. Le meae est l’enceinte sacrée par excellence.
FILM CONSTRUCTION D’UN MARAE
En 1774, lors du passage de Cook, la population des Marquises est estimée à 50000 personnes. (Aujourd’hui on compte au denier recensement 9000 !). Les clans étaient regroupés dans les vallées, et évidemment il y avait des bagarres d’une vallée à l’autre.
FILM GUERRES MARQUISIENNES.
A la fin du XVIII siècle arrivent les missionnaires protestants et catholiques, et cela marque la fin des pratiques et croyances traditionnelles. Mais cela ne s’est pas passé sans heurs.
FILM REJET DU CHRISTIANISME
Mais les danses racontent aussi leur quotidien…la séduction, sujet universel
FILM DANSES DE SEDUCTION
Le Hakamanu, ou danse de l’oiseau, originellement dansé par une vierge ou en attente de mariage, par les jeunes filles de la classe supérieure du clan. Célère la jeunesse, la relation amoureuse.
FILM DANSE DE L’OISEAU
Mais lors de mariages de chefs, ou autre grands événements, les clans de plusieurs vallées, voir plusieurs îles étaient conviés pour de grandes festivités (comme pour ce festival auquel nous assistons). Le matavaa se finit par des danses où toutes les délégations (ou presque) participent, une grande allégresse en bouquet final.
Ce festival nous a fatigués (et on a même pas dansé). J’ai pris un coup de chaud et j’ai finit au dispensaire avec les chevilles gonflées et 39.5°C. Double punition pour moi : je n’ai pas vu le bouquet final et prescription d’antibiotiques.
Martial lui, a des piqures de nonos qui se sont infectées, donc antibiotiques car ici les antibiotiques c’est automatiques L.
Malgré ces désagréments ce Matavaa restera un moment fort de notre voyage et les chants, musiques, images, danses resteront à tout jamais dans nos têtes et nos cœurs.
Merci aux organisateurs qui en plus d’un spectacle unique, nous ont permis de comprendre un peu mieux leur histoire et leur magnifique culture.